Feuille volante #5

J’ai mis du lipstick. 
Il est encore parfaitement dessiné sur mes lèvres.
Direction Porte Dauphine, changer à Barbès, prendre la direction du sud, les rames chargées de gens colorés et joyeux. C’est samedi.
J’ai pris mon courage à deux mains, j’ai parié sur l’inattendu.
Je me suis même surprise, un instant, à rêver que je pourrais rencontrer là de nouvelles têtes, de nouvelles voix, des gens oui même en qui je pourrais avoir confiance. 
Etre surprise.

Rue de Metz, puis je m’enfile rue de l’Echiquier, quelques jeunes ne me font pas peur, c’est ce que disent mes pas tactactac, talons décidés et pressés. Je suis en retard.
Les portes sont closes.
Dans la rue de l‘Echiquier tout devient plus sombre, tandis que personne ne répond à mes appels.
Les mêmes jeunes me font peur, je m’imagine déjà leur répondant frappez-moi la gueule, allez-y, ça ne sera pas la première fois.
Je descends la rue du faubourg Saint-Denis, je croise trop de gens, ils pèsent sur mes épaules, je remonte vers le Nord, tout est plus froid, les rames bondées de gens parfumés au martini, c’est le moment d’écrire, décrire debout, droite dans mes bottes, aujourd’hui j’ai dit j’ai un moral d’acier, drôle d’expression tout de même, un moral glacé, tout voudrait s'effondrer à cet instant précis mais je suis toujours droite dans mes bottes, je ne peux me pencher, il n’y a aucune épaule et pourquoi faire d’ailleurs, le constat est triste le constat est laid, c’est samedi soir, je me suis décidée à sortir et je voudrais pleurer. Je sens les larmes monter tandis que le métro passe au-dessus des rails de la gare de l’Est, tout est si lumineux, les chemins si bien dessinés, là voilà mon éclaircie, je me réjouis.
Demain tout ira mieux, peut-être même d’ici là qui sait je ne sais qui mais enfin peut-être

il faudrait manger, la vérité c’est que je fais semblant d’avoir de l’appétit, 
ça fait des semaines que je n’ai plus d’appétit,
je voudrais que tout ça à l’intérieur soit vide
être légère
comme du temps où je ne mangeais plus et où je ne m’étais jamais sentie aussi forte
à force de dire que ma volonté me porte
j’ai fini par y croire
et je mange
au lieu d’écrire
j’ai mis du lipstick et j’ai peur de l’enlever