Feuille volante #3


Le chaton oublié sur l’asphalte brûlant.
En rentrant du petit marché du port, en fin de matinée, alors que je m’enfonçais dans le village, laissant place à la végétation galopante, puis à la lagune, au ciel, et enfin, au détour d’un regard ...
Un très court instant m’est venue l’idée de le tuer.
Il était là, rampant frêle chaud lent, sur ce bout de trottoir où personne ne marche, rejeté par sa mère ou devenu l’objet de quelque jeu cruel.
Seul, menacé par une armée de fourmis venues en nombre ; un instant, oui, j’ai pensé d'un coup de talon vif précis salvateur écraser sa cervelle déjà molle. 
Mais comment.


(...)
En rentrant ce soir à la maison, dans une quasi-obscurité - car tout le village est plongé dans le noir, trop d'électricité mise à contribution pour la parade de ce matin sur la place Bolivar - j’ai cherché, oui, j’ai cherché du regard l’endroit où j’avais laissé quelques heures plus tôt le chaton, dont semblait encore s’échapper un sifflement.
Je l’ai retrouvé dans mes pas : son corps avait été traîné par je ne sais quoi, sur la route.
Il est là.
Il est encore là.
bouche ouverte, ou ce qu’il en reste. 
Instant d'intimité éclairé par la frontale.






San Fernando de Atabapo, Amazonas, été 2011