jeudi 10 avril 2014

Avril, Avril

Tu vois je marche sur cette avenue, ou peut-être est-ce un boulevard, je crois qu'il n'a pas de nom de toutes façons, je marche et le bitume est triste, je me reflète dedans, le soleil cherche à me réchauffer, j'ai eu froid toute la journée durant tu sais, mais comment s'appelle cette rue, merde, ce n'est écrit nulle part et c'est peut-être mieux ainsi, je sais qu'au bout il y a la ville et ça suffira bien, je vais me perdre dedans, une sieste éternelle et tranquille, je sens que je pourrais marcher très longtemps, doucement, prolonger un pas dans l'autre, dans un continuum sans fin, mes pas m'avaleraient, on dirait que c'est la fin du début, et pas l'inverse c'est du déjà-trop-vu, moi aussi, moi aussi j'arrive à la ville, j'arrive à la ville je n'y reviens pas c'est bien différent tu comprends à présent, ma ville à moi c'est un peu le Mexique, ça fait rêver parce qu'il y a un X dedans et que ça floute un peu le désir, les X comme ça au milieu des mots, j'ai connu un homme il y a des tas d'années, il était barré de X comme ça, torride et impossible à toucher, à saisir, mais pourquoi vouloir s'en saisir après tout, Avril, Avril, un trait de Xérès signe un désert éternel et tranquille, demain les châteaux d'Espagne, les montagnes de Serbie, les cailloux de l'Altiplano, et puis toujours, au loin et pour seul horizon, le Mexique des grands hommes qui n'ont rien compris, mais pourquoi vouloir comprendre après tout me dis-tu — parce que tu parles à présent, tu t'invites, viens, on ira au Mexique, y'a des hommes-cactus là-bas, des filles à l'aloé, des sourires qui barrent la lisière du désert, et puis des cailloux, des cailloux à perte de vue, tu verras, je les transformerai en pain si tu as faim, viens — viens

lundi 17 février 2014

mardi 4 février 2014

ça devait arriver.
Quelques instants plus tôt je me réjouissais en comprenant que les jours, décidément, s’allongent. Le ciel était alors baigné de rose, printemps précoce, jardin nouveau, espoir, tralala.
Puis,
descendant la pente raide de la petite rue L., glissant au préalable un pli dans la boîte aux lettres de quartier (tout relève du miracle dans ces moments-là), je pousse la porte du boulanger - ah, une tradition, et pas trop cuite, la meilleure du tout-Paris-sans-aucun-doute, un-euro-dix apparait comme par magie dans ma main, la boulangère me sourit, elle ressemble aux jours heureux elle aussi, bonsoir - bonsoir, mais je vous tiens la porte Monsieur... sur cette même porte encore un billet maladroitement écrit, presque un poème, attentive je lis : votre boulangerie sera fermée du 17 février au 3 mars. Motif : travaux. Merci de votre compréhension.

Parce que c’est toujours ainsi, j’ai machinalement mangé le crouton - me brûlant les doigts au passage, évidemment - chemin faisant le coeur étrangement lourd, pour finalement accélérer le pas lorsque je compris que les larmes montaient à gros bouillons.

dimanche 19 janvier 2014

La nuit tombe toujours un peu trop tôt. 


- bonsoir...
- bonsoir.
- tu sens l’alcool.
- oui, j’ai bu un martini rouge.
- tu en prendrais un deuxième ?
- peut-être.
- (prenant place) pourquoi c’est si dur une histoire qui n’a jamais commencé ?
- (silence)
- parce qu’étonnement, j’ai le coeur brisé. 
- (petite lueur au fond des yeux, ou les yeux qui fondent, je ne sais pas)
- tu me crois ?
- je ne sais pas.
- j’aurais préféré que tu gardes le silence. Après tout, je ne fais que rentrer à la maison et, tout en marchant, j’invente notre conversation, et tu devrais ne rien dire ; car si tu parles, tout s’évanouit. tu vois bien.
- alors on recommence depuis le début. tu marches, tu vois au loin les lumières du bar qui se rapprochent au fur et à mesure, tu ne penses qu’au son qui retentit à chaque pas ; plus tu t’approches, plus tu ralentis. Tu passes tout doucement devant le bar. c’est très exactement le moment où je tourne les talons, je rentre à l’intérieur, je vaque à mes occupations tu comprends, tu me vois, moi je ne te vois pas. c’est là le drame ; hier encore nous nous serions fatalement croisés. mais ça c’était hier. depuis, il n’y a que des bruits de talons, comme suspendus. c’est tout comme si tu avais toujours marché. c’est un peu triste, je te l’accorde. mais tu ne sais rien de moi après tout. tu n’as que ta tristesse pour seul témoin. peut-être même que tu as rêvé. et à présent tu te demandes si les rêves peuvent rendre aussi triste. peut-être. tes rêves à toi ressemblent à un dimanche. hier encore tu aimais ça. la tristesse est peut-être devenue ta nouvelle fatalité, mais ça n'est que ta dernière idée à la mode ; tu t’habilleras en noir ou de la couleur de l'anthracite, à tel point qu’on ne distinguera plus rien dans la nuit, si ce n’est tes joues rosies par le froid. et puis un jour tu finiras par retrouver le sommeil. tout redeviendra plus fluide. j’aurais disparu. envolé, mouettes, Dieppe. toi, tu marcheras probablement encore, mais probablement ailleurs.