jeudi 6 septembre 2012

Photo ©Fabléa 2012
Maman debout. Jamais assise.

Petite,
ma mère travaillait beaucoup.
un travail pénible, physique, souvent humiliant.
elle a traversé mon enfance comme on traverse un couloir inutile.
je la voyais peu.



le matin, elle était déjà partie depuis fort longtemps : le réveil sonnait avant cinq heures du matin.
Le soir dans mon lit plongée dans le noir j'attendais d'entendre la clef tourner dans la serrure, signal de son retour.
elle ouvrait alors discrètement la porte de ma chambre d'enfant-roi, un geste rituel après lequel seulement je pouvais enfin m'endormir.
c'est peut-être ainsi que j'ai commencé à faire des économies de sommeil.

à neuf ou dix ans, il m'était devenu tellement insupportable de la voir en permanence debout, comme un fantôme qui ne peut trouver le repos, éternellement envahie par les obligations du quotidien (cuisine, messe, vaisselle, courses, ...) - ne sachant plus même passer un seul coup de fil assise, si ce n'est une demie-fesse de temps à autres sur le rebord de la baignoire vide (quelle belle image triste) - je décidais de lui faire gagner du temps.

je l'avais tant de fois regarder faire.
ouvrir la planche à repasser dans un grincement insupportable,
y poser doucement le fer lourd,
le brancher dans la prise électrique,
allumer doucement le poste de radio,
prendre le tas de vêtements froissés.

en choisir un pas trop compliqué pour commencer.

et puis, il y a eu les culottes. car maman repassait tout.
et puis, il y a eu cette culotte-là.
la plus belle, la plus précieuse, faite de dentelle ajourée par endroits.

c'était lui rendre hommage. je pouvais rendre ma mère belle d'un geste simple, précis, aimant.
j'imaginais déjà son air ravi, refermant la porte de ma chambre tard, moi faisant semblant de dormir, moi esquissant ce petit sourire simple de contentement, la joie, oui, une joie indescriptible m'envahit tandis que je découvrais, presque simultanément,  que la culotte était de soie, soie qui avait fondu sur les rebords du fer à repasser, plus légère que jamais, réduite à rien.

maman ne m'a pas disputée.
moi j'ai beaucoup pleuré, violemment,
car ce jour-là j'ai tué l'unique culotte sexy de ma mère.

dimanche 2 septembre 2012

Gobi

passer la journée à moitié nue
le corps tendu et léger comme un voile
se rendormir encore et revenir sans cesse à la surface
horloge dont la mécanique s'est enrayée
à l'origine, un grain de sable
d'une provenance lointaine
et parfumée
rien ne se meut autour, rien que de l'air
j'ai la gueule d'amour
amour invisible et désordonné

faire de cet espace parisien un horizon sans fin
un appétit qui se gratte à chaque recoin
j'ai fait tant rêves cette nuit qu'il m'est impossible de les raconter
- le récit en serait tellement long
qu'il finirait par vous perdre
ou vous ennuyer